Quels jolis coudes

par | 28 02 18 | Divers, Écriture | 0 commentaires

Quels jolis coudes !

« Il était une fois… »
Ça aurait pu commencer ainsi : « Il était une fois… »
Mais non, non, désolé, cette histoire n’est décidément pas un conte de fées !
Peut-être le sera-t-elle dans quelques années, quelques décennies, quelques siècles… une fois passée sous les fourches caudines d’un adoubement notarié, considérant sa spécificité structurelle et son genre narratif comme une sous-catégorie de l’aventure romanesque postmoderniste. Hélas, le grand spécialiste de la chose, l’immense psychanalyste austro-américain Bruno Bettelheim (1903/1990 – Psychanalyse des contes de fées) n’étant plus de ce monde, quelle autorité aussi… contestable que la sienne lui succédera pour valider une telle classification ?
Car il faut du temps pour devenir conte, morbleu ! Diantre, bien plus de temps que pour devenir marquis !
Mériterait-elle le titre de « conte contemporain » ? Pourquoi pas, si l’on fait preuve à son égard de quelque indulgence statutaire. Mais déjà voyez (et entendez) comme cette répétition est lourde et maladroite : conte contemporain ! Enfin, de nos jours, me direz-vous, on est souvent « content-pour-rien ». Alors qui sait ?

Il est possible pourtant que cette entrée en matière, cet épigraphe iconoclaste (remarquez comme l’accolade de ces deux termes détermine précisément ce qu’ils sont l’un et l’autre : deux préciosités littéraires destinées à faire plonger le lecteur dans un abîme de perplexité, ce dont se délecte par avance l’écrivain auto-satisfait et un tantinet sadique), bref, il est possible – sinon probable – que ces quelques lignes d’introduction, ne vous contentent nullement parce qu’elles ne disent absolument rien de ce qui va les suivre. Déjà qu’elles ne disaient pas grand-chose de ce qui les précédait (puisque, comme vous avez pu le constater, rien ne les précédait) ce serait un assez joli coup qu’elles réussissent à vous intéresser ! Mais, restons positifs, nous ne sommes pas à l’abri d’un miracle, après tout.

bureau devant fenêtreOn vous entendrait presque penser au sujet de l’auteur de ces lignes : Mais où veut-il en venir ? Où nous emmène-t-il ? Tiens, « iconoclaste », ça faisait longtemps ! « Adouber », « caudines », « morbleu », « diantre », « tantinet »… Voilà un vocabulaire quelque peu désuet ! Voudrait-il antidater son texte par l’usage de termes antédiluviens et le faire ainsi entrer a posteriori dans le Grand Catalogue de la Féérie ?
Vous voilà bien perplexe et sans doute quelque peu agacé. Pourtant vous poursuivez la lecture parce qu’au fond vous n’avez rien de mieux à faire, y a pas de match à la télé, dehors il pleut comme vache qui pisse (c’est mieux d’ailleurs qu’il pleuve dehors, s’il pleuvait dedans ce serait assez incongru et inconfortable), ou bien alors c’est parce que vous y êtes absolument obligé : vous faites partie du comité de sélection et, consciencieux comme vous l’êtes, vous devez vous taper le texte jusqu’au bout ! Sans compter que vous devez rendre votre verdict à Jean-Claude, le big boss, demain matin à l’aube, et vous êtes quelqu’un sur qui l’on peut compter, assurément. D’autant que ça ne le mettrait pas de bonne humeur le Jean-Claude, si vous n’étiez pas à jour le jour J ! Malheureusement, vous êtes un procrastinateur invétéré, et il vous reste encore dix-sept pensums à lire ! La nuit s’annonce longue et blanche…
Ah, si au moins vous aimiez le café ! Par chance, quelque chose vous tient éveillé jusqu’à présent : votre curiosité.

Dans ce galimatias quasi indigeste de péroraison, il vous semble déceler comme une mise en abîme de l’écriture dans laquelle le lecteur devient le personnage principal de sa lecture. Allez, c’est décidé, cette histoire qui n’en est pas une, ce conte qui n’en est pas un, va parler de vous, lecteur contraint et contrit : les mots qui s’alignent les uns après les autres sur cette page montrent d’eux-mêmes la voie qu’ils veulent suivre, le chemin qu’ils veulent parcourir, le héros qu’ils ont engendré : Vous ! Oui, vous là, qui sans même vous en douter, êtes en train de déchiffrer, de décrypter, phonèmes, graphèmes et morphèmes, de les intégrer dans des groupes sémantiques, pour qu’enfin le signifiant donne sens au signifié aussi bien dans l’explicite que dans l’implicite.
Or voilà que l’explicite vous paraît bien ténébreux. Vous en cherchez la clé, elle n’est pas là sous le paillasson, devant la porte d’entrée, ni dans le pot de fleurs qui orne le seuil. Alors, l’implicite devra faire preuve de patience et attendre que son heure sonne. Pour descendre à la cave, il faut d’abord entrer dans la demeure. Patient, il l’est, l’implicite : c’est dans sa nature, c’est sa nature. Il est là, tapi dans un repli de votre inconscient, et un beau jour ou peut-être une nuit, il se révèle. C’est qu’il y a les mots, et puis il y a le bruit qu’ils font encore longtemps après qu’ils se sont tus. Car le mot est une météorite, une boule de feu avec, derrière qui file après elle, la queue de ses myriades de poussières d’étoiles : l’écho du mot, comme aurait pu dire un certain Umberto.
Car « le mot pour prendre sens doit prendre corps », assure Françoise Dolto. Ou bien encore, comme le suggère joliment Clément Rosset, philosophe niçois (si, si, je vous assure : niçois !) : « L’idée sans le mot n’est qu’un fantôme en attente de chair ». (Le choix des mots – Editions de Minuit – 1995)
Vous voici donc, lecteur, héros malgré vous de ce récit, en train de chercher cette clé de la conscience inconsciente. Et vous vous demandez comment fait la météorite pour scintiller ? Elle pénètre l’atmosphère dans son épaisseur, elle se frotte à elle, elle s’échauffe et s’illumine jusqu’à s’y consumer. Rassurez-vous, l’auteur de ces lignes n’exigera pas de vous un tel sacrifice, fût-il virtuel. Le frottement de nos cerveaux les uns contre les autres, le vôtre contre le mien, contre les nôtres, les voilà nos genèses, nos fantômes, nos squelettes, nos densités, nos consistances, nos chairs, nos corps… Les voilà, nos mots !

Porter un toastPost-Scriptum : Il est possible que vous vous interrogiez sur la signification du titre de ce non-conte « Quels jolis coudes ! ». C’est drôle, moi aussi ! C’est pourtant par là que tout a commencé : j’avais simplement filé la sonorité de la thématique (« Quel joli cou, coup, coût,… »), comme ça, pour voir. Je trouvais ça légèrement transgressif et… joli ! Et puis les mots taquins et espiègles en ont décidé autrement. Ils se sont imposés à moi. S’il fallait donc trouver une justification à ce titre, elle pourrait se situer dans l’impérieuse et incontournable nécessité de la présence du coude au beau milieu du bras : avez-vous déjà essayé de boire, verre à la main, sans plier le coude ? La chose est impossible, je vous assure. Essayez pour voir…
Alors, levons nos verres, plions nos « jolis coudes », et buvons : Santé !

 

 

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